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quoique sa méthode soit loin de réunir tous les suffrages, quoique les notions qu'i|
offre sur nos Provinces soient fort incomplètes, et quelquefois erronées. II serait
superflu de s' étendre sur les inconvéniens qui peuvent résulter, de cette étude
d' historiens étrangers, dirigés toujours par un esprit de partialité plus ou moins
prononcé pour leur pays, quelles que soient d' ailleurs la noblesse de leur caractère
et I' indépendance de leurs opinions: ces inconvéniens ressortent d' eux-mêmes.
Quelle époque de notre histoire est plus mémorable que celle de I'affranchissement
des Provinces-Unis par I'immortel GlIILLAUMEl et combien peu cependant elle est
connue! On ne saurait s'en prendre au défaut d'historiens, car aucune époque peut-être
n'a donné naissance a un aussi grand nombre de volumes. Mais, pour ne parler que
des plus renommés, ira-'t- on mettre entre les mains de la ieunesse beige Ie livre du
l'ésuite STRADA, vendu a I' Espagne, ou celui de BENTIVOGLIO, moins partial, moins
fanatique sans doute, mais qui n'a pu oublier, en écrivant I' histoire, qu'il était
I' envoyé du Pontife romain GrOTIUS, plus exact, plus véridique, est supérieur a
ces deux écrivains, mais ii est beaucoup trop succinct. Le livre d' EMMANUEL METEREN
pêche par le défaut contraire: il est d'ailleurs devenu aujourd'hui presque illisible.
De nos jours, on a publié une histoire des troubles des Pays-Bas par
VANDERVINCKT, sur laquelle les amis de la patrie et de la vérité fondaient de grandes
espérances: j' oserai dire qu'elles n'ont pas été réalisées. Cet ouvrage en effet, dont
la prolixité n'est pas le moindre défaut, laisse de cóté une foule de faits précieux,
que l'auteur n'a point connus peutêtre, et ne dévoile pas toujours les ressorts des
événements principaux du temps. VANDERVINCKT a eu, dit-on, a sa disposition les
archives de l'Etat: mais il écrivait pour la maison impériale d'Autriche, unie par des
alliances de familie avec la Maison Royale d' Espagnecette considération a dü
nécessairement lui faire taire beaucoup de vérités, et influer plus d'une fois sur ses
jugemens. C'est ainsi qu'il ne rend pas toujours justice aux qualités éminentes, aux
vues patriotiques et désintéressées du grand GUILLAUME.
]e remarquerai d'ailleurs que ce n'est point dans les'archives de l'Etat que reposent
les documens les plus précieux sur l'histoire de cette époque, mais dans celles des
Etats des Provinces. C'est dans celles-ci qu'on trouverait sans doute l'explication de
ces deux grandes causes de désunion auxquelles les Provinces méridionales durent
de rester sous le joug de I' Espagne, savoir: la jalousie des grands contre le génie
supérieur de GUILLAUME, et les intrigues du clergé.
II nous manque done, sur cette époque a jamais célèbre qui exerqa tant
d'influence non-seulement sur les Pays-Bas, mais sur I' Europe entiére, une bonne
histoire, qui puisse être mise dans les mains de toutes les classes de lecteurs; une
histoire qui constate tous les services qu'a rendus a notre pays cette illustre Maison
d'Orange, sous le sceptre de laquelle Ia Providence nous a placés pour notre bonheur,
et qui eüt assuré, il y a deux siècles, aux Provinces méridionales, la même liberté,
la même splendeur, qu'aux Provinces du Nord, si elles avaient su faire les mêmes
sacrifices.
Pardonnez Sire, si ces détails, dans lesquels m'a entrainé mon amour pour
mon pays et pour I' auguste Dynastie de Votre Majesté, vous paraissent longs: daignez
les excuser en faveur des intentions qui les ont dictés. ]e n entrerai pas dans d aussi
grands développemens, pour prouver toute l'utilité que pourrait retirer le Gouver
nement de l'organisation des archives de 1' Etat.
Le bouleversement produit par la Revolution Frangaise a séparé violemment
l'ancien ordre de choses du nouveau dans cette catastrophe inouïe dans les fastes
du monde, nonseulement les anciennes institutions ont été englouties, mais les traces
même en ont disparu. Les intéréts de I' Etat n'ont pas moins souffert dans cette
crise sans exemple, que les intéréts privés. II est done hors de doute que 1' on trouve-
rait dans les archives beaucoup d'actes ignorés et d'un haut intérêt, concernant
l'administration intérieure, les domaines et les finances publiques. |e me permettrai de
citer, a ce sujet, les notions que j'ai découvertes dans les archives du Tournaisis, et
dont j'ai soumis le résultat a Votre Majesté dans mon mémoire du 20 Juillet dernier.
Si les archives de la plus petite des Provinces Belgiques m'ont offert des documens,
d'une telle importance pour le Gouvernement, que ne peut-on pas espérer de
l'exploration des archives de I' Etat?
II me reste a Vous soumettre, Sire, les vues qui m' ont paru propres a réaliser
l'organisation de ces archives.
Les premières opérations consisteraient a en faire un triage, et a les soumettre
a un classement méthodique, soit par année, soit par catégorie de matières ou par
provinces, suivant que 1' examen de I' état des choses le ferait juger nécessaire.
II serait aussi créé d'abord un Bureau d' Archives historiques; toutes les pièces
jugées susceptibles d' intérêt pour I' histoire y seraient déposées après avoir été in-
ventoriées. Plus tard, il serait fait des actes les plus importans de ce depót des extraits
dont l'étendue serait proportionnée a leur importance, et qui serviraient a former des
mémoires historiques.
Un inventaire serait également fait des actes les plus intéressans qui concernaient
I'administration intérieure du Royaume, les domaines, la guerre, la marine, les finances,
les relations avec les puissances étrangères; et il pourrait être adressé a chacun des
départemens d'admistration générale un extrait de cet inventaire, offrant les actes
qui les regarderaient respectivement. On leur délivrerait ensuite, sur leur demande,
des copies ou 1' original même des actes suivant le règlement qui serait ordonné
par Votre Majesté.
Lorsque les archives de 1' Etat seraient mises en ordre, on pourrait successi-
vement y joindre les anciennes archives des Etat des Provinces, ce qui formerait
alors la plus riche collection qui peut-être existe en Europe.
II serait, a cet effet, envoyé dans chaque chef-lieu de province, une personne
capable d' apprécier l'importance des documens qui y existent dans les archives.
Quand Louis XV se fut emparé, en 1745, d'une partie des Pays-Bas autrichiens,
un commissaire spécial y fut envoyé par son Gouvernement, pour tirer des copies
authentiques des actes les plus intéressans reposant dans les archives publiques. Ce
qui ne pouvait être alors qu'un objet de curiosité pour la France serait une chose
éminemment utile pour notre pays.
Chaque année il serait rendu compte a Votre Majesté ou a Son Excellence le
Ministre de I' Intérieur de 1' état des travaux, de ce qui serait fait, et de ce qu' il
resterait a faire.
Je ne crois pas que mon amour du bien public me fasse illusion, en affir
mant, Sire, que I' execution de ce plan rendrait un service immense a la patrie et au
gouvernement.
Par cette création nouvelle, Votre Majesté mettrait le sceau a tout ce qu' Elle
a déja fait de grand, de glorieux, d'utile.
A aucune époque, l'étude et la publication des monumens de I' histoire n'excita
un aussi vif intérêt. Les Gouvernemens éclairés les encouragent de tout leur pouvoir.
S. M. le Roi d' Angleterre, Votre auguste allié, vient tout récemment de nommer
une commission pour examiner les registres, actes, et documens des temps anciens,
qui reposent au bureau des papiers d' état, afin de faire imprimer ceux qui seront
jugés les plus importans.
Que s'il plaisait a Votre Majesté, Sire, de daigner me charger de 1' exécution
de ce plan, j' ose vous protester que je chercherais, par tous mes effort a me rendre
digne de cette marque de Votre royale bienveillance.